La musique autrement

16/10/2019

Etre musicien, ce n'est pas seulement exécuter des notes, des silences et des rythmes ou savoir jouer tel ou tel morceau, ou encore savoir déchiffrer une partition, mais c'est avant tout être à l'écoute : du son, du silence, de la sensation, du geste (et du toucher pour les instrumentistes), des émotions, de l'instrument et ses limites et performances, de ce que la musique elle-même nous renvoie. Le musicien est le premier auditeur, son propre et premier auditeur ou, plus précisément, le premier auditeur de la musique qu'il produit. La musique, ce n'est pas (seulement) un corpus d'œuvres et de partitions ; la musique est une expression de l'âme, une expression artistique, et une organisation « sonore » du temps. Comme toute expression, elle possède ses codes, ses langages, ses règles, ses techniques ; il serait illusoire de penser pouvoir jouer de la musique sans les apprendre, les connaître, les utiliser, les maîtriser ; comme art, elle possède cette fabuleuse faculté de n'avoir pas de limites à sa perfection et l'on peut toujours y progresser, s'améliorer, apprendre mais, à la fois, elle est immédiatement accessible, même et « surtout » aux très jeunes enfants. On peut immédiatement « expérimenter » la musique, à partir du niveau zéro et dès n'importe quel âge. On peut immédiatement la produire, l'entendre, ressentir son effet sur nous : même avec une seule note, ou un seul son, ou un seul accord, et avec n'importe quel « instrument », bout de bois ou caillou ou tout simplement ceux que la nature nous a donné : notre voix, notre corps.

La musique est, au fond, un genre de « Mystère » et elle fut, dans l'histoire des peuples, souvent associée à la divinité. Et les grecs ne parlaient-ils pas déjà de la « musique des Sphères » (de l'univers) ? Lucifer n'était-il pas un ange de lumière, chef des chantres des armées angéliques (Ez 28, 13) ? En effet, au fur et à mesure de son expérience et de ses apprentissages, le musicien s'aperçoit que ce n'est pas tant lui qui « fait de de la musique » que « la musique qui fait de lui un musicien ». La musique accompagne l'être humain dès sa conception. La musique est plus grande que le musicien. Elle s'inscrit dans des traditions ancestrales et séculaires qui pendant des siècles ont accumulé des techniques, des philosophies, un répertoire, des connaissances, des pratiques et des usages ; elle possède ses maîtres, ses théoriciens, ses interprètes, ses virtuoses, ses inventeurs, ses découvreurs, ses instruments, ses codes, ses langages. Tout ceci représente des savoirs, des répertoires (écrits et ou de tradition orale), des pratiques et des systèmes en nombre ou à la quantité incalculables depuis les siècles et dans toutes les civilisations, y compris des savoirs et des techniques perdues. Si tout ceci n'est pas « immédiatement accessible » et constitue presque une quête qu'on ne saurait accomplir en une seule vie, la musique, elle, procure autant de plaisir à un jeune débutant qu'à un virtuose expérimenté : il suffit d'être à l'écoute... d'avoir envie et de se lancer : « pour jouer du piano, il faut déjà commencer par soulever le couvercle ».

La musique est très exigeante et ne souffre aucune médiocrité. Arriver à jouer un morceau ne garantit pas sa « musicalité » : on peut jouer admirablement « Au Clair de la lune » et massacrer lamentablement une étude de Chopin. La musique opère sa « magie » aussi bien dans la complexité virtuose que dans la simplicité et le dénuement absolu. Aligner des notes, des silences et des rythmes, même très correctement, ou jouer convenablement une partition, ce n'est pas « jouer » de la musique, c'est tout au plus « l'exécuter » et au pire « l'assassiner ». La musique « dit » quelque chose, « raconte » une histoire, « partage » des émotions. Pour « jouer de la musique » (ou « avec » la musique), il faut en comprendre le langage et être libre de toute contrainte technique : et cela peut se réaliser à n'importe quel « niveau », pourvu qu'on se tienne aux limites de celui-ci. Acquérir une compréhension de la musique une maîtrise de son instrument est très progressif et très long mais quels que soient les degrés de connaissance et de technicité, on peut en « jouer » : le jeu est accessible à tous, en particulier aux jeunes enfants, qui prennent cela très « au sérieux ».

Le rythme, élément essentiel de la musique puisque celle-ci est avant tout « du temps », est inscrit en chacun de nous par la pulsation de notre cœur, et avant que l'on naisse, de celle du cœur de notre mère, et aussi des « bruits » extérieurs. Les sons existent dans la nature qui, parfois, si l'on tend l'oreille, nous chante une musique (la pluie qui tombe, le chant des oiseaux ou des grenouilles, le vent dans les roseaux ou les gréements des voiliers du port...). Les règles acoustiques qui régissent et définissent les sons, les notes, les gammes (échelles modales), sont issues de règles physiques et mathématiques, existant donc dans « la nature ». Et qui n'a jamais fredonné un air ou tapé un rythme ? La musique, il faut partir à sa rencontre et à sa découverte : ceci ne passe que par l'expérience et l'écoute. Le plaisir de la musique s'éprouve dès les premiers instants de rencontre avec elle. Et ce plaisir peut se renouveler à chaque nouvelle rencontre et au travers de chaque progrès accompli ; ce plaisir est toujours aussi intense au bout de 40 ans qu'à la fin de la première heure. Mais le plaisir est gourmand : il demande toujours plus, toujours mieux. Les progrès seront à la mesure du temps que chacun y accordera dans sa pratique : pour bien connaître la musique, il faut la fréquenter et devenir familier avec elle (et avec notre instrument) : C'est comme une relation, c'est une question de temps passé et consacré. Le seul danger sera donc de ne pas progresser car il entraînera un découragement et une lassitude. On ne peut donc pas rechigner à la tâche, ainsi qu'à la fréquentation constante et assidue : c'est la seule exigence pour que le plaisir de la musique perdure et grandisse en nous.

« La musique, c'est le plaisir de l'exigence et l'exigence du plaisir ».


Nicolas Debard

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